Tout voyageur qui se rend pour la première fois au Pays du Sourire est surpris par ces petites maisons, temples miniatures chargés d’offrandes, que l’on trouve devant chaque maison, hôtel, bâtiment public ou centre commercial. La tradition des San Phra Phum (littéralement demeure de l’ange gardien du lieu), ancrée dans la culture thaïe, est la manifestation d’un culte animiste très vivace en Thaïlande et dans d’autres pays bouddhistes de la région comme le Laos.
Ci-dessous, deux maisons aux esprits devant un restaurant de Bang Saphan
Une tradition issue de l’animisme
L’animisme du latin animus, autrement dit âme, est un terme inventé en 1871 par l’anthropologue Edward Taylor. Selon la définition du dictionnaire Hachette: « l’animisme est une croyance attribuant une âme, une conscience à chaque objet du monde matériel (animal, végétal, géologique) ». En d’autres termes, l’animisme se réfère à une conception spirituelle de la vie. On le retrouve dans quasiment toutes les religions, même le christianisme, quel que soit le nom que celles-ci donnent aux âmes: esprits, démons, djinns, anges, etc…
La maison des esprits est parfois associée à un petit temple dédié à Brahma, dieu aux quatre visages, dans le cas de bâtiments importants tels que les banques par exemple. Brahma est le dieu-démiurge de l’hindouisme, c’est-à-dire le responsable de la création de l’univers physique. Le bouddhisme n’ayant pu faire disparaître la croyance en l’animisme, il l’a intégrée en plaçant le thi (esprit protecteur) entre les hommes et les dieux hindous, intimement mêlés au bouddhisme theravâda (courant dominant du bouddhisme en Thaïlande) et en le considérant comme un seviteur de bouddha.
Pour les Thaïlandais, chaque être vivant mais aussi les éléments naturels sont animés par une force vitale et un esprit mystique, manifestation de défunts ou de divinités animales, auquel il convient de vouer un culte. Ils considèrent la San Phra Phum comme un moyen de se prémunir contre les phi (mauvais esprits) qui peuvent perturber votre sommeil, empêcher votre réussite professionnelle et matérielle ou attenter à votre vie. Il est recommandé de présenter des offrandes quotidiennes, de préférence avant onze heures du matin, aux esprits qui habitent ces petits temples afin d’obtenir bienveillance et protection. Ces offrandes prennent la forme de nourriture, fleurs, bâtonnets d’encens. A Bang Saphan, dans l’hôtel où je résidais lors du Nouvel An chinois il y a quelques années de cela, il a fallu installer une grande table devant la maison des esprits, celle-ci étant trop petite pour accueillir toutes les offrandes. Il y avait une profusion de fruits, de friandises, de viande de poulet et de canard et plus étonnant… de la bière! Le Nouvel An passé, on nous distribua les friandises et le reste (sauf la bière) fut déposé au pied des arbres à l’intention des animaux.
Des règles précises président à l’installation des maisons aux esprits
Il existe deux types de maisons:
- San Jao Thi qui accueille les maîtres des lieux représentés par un couple de vieillards
- San Phra Phum qui abrite l’esprit protecteur, le thi, représenté par une figurine d’inspiration hindouiste qui tient d’une main un sabre et de l’autre un sac rempli d’argent. Diverses figures animales peuvent être ajoutées (notamment l’éléphant, emblème national)
Il est d’usage d’installer l’une ou l’autre de ces maisons, voire les deux.Lors de la cérémonie d’installation, présidée par un prêtre brahmane qui aura déterminé auparavant la date favorable pour la construction, l’emplacement et l’orientation du sanctuaire, plusieurs règles doivent être respectées. Tout d’abord, la maison doit être d’une richesse proportionnelle à celle qu’elle protège afin que les esprits ne soient pas jaloux. Elle doit être placée à hauteur du regard, à l’extérieur du lieu qu’elle protège, près de la porte principale, si possible près d’un arbre, orientée au nord (à défaut au sud) et l’ombre du bâtiment ne doit pas la toucher. Vous l’aurez compris, pour être bien protégé, il faut choyer les esprits.
Une tradition qui se renouvelle sans cesse
Depuis l’origine, la fabrication de ces maisons a évolué. Si certaines sont encore en bois, à l’image des temples bouddhistes des périodes Ayutthaya et Sukhothai (mes préférées), d’autres (de plus en plus nombreuses) sont en béton. Les styles varient également, de la reproduction classique des temples à des architectures plus contemporaines et minimalistes. Elles sont souvent fabriquées à la demande des clients, parfois d’après des croquis fournis par eux, et l’inspiration peut aller jusqu’à l’influence occidentale. La décoration, quant à elle, va des couleurs criardes et assez kitsch à des applications de feuilles d’or ou de petits morceaux de verre qui réfléchissent la lumière.
Un des plus importants fabriquants de Bangkok a ainsi réalisé une magnifique maison à l’architecture gréco-romaine, blanc et or, qui rappelle le capitole de Washington. D’ailleurs, ses clients ne sont pas uniquement des Thaïs, ce fabricant travaille aussi pour des Singapouriens, des Occidentaux et des Américains. Dans ces derniers cas, l’achat n’est pas motivé par la fonction première de la maison aux esprits. Les clients recherchent plutôt un bel objet décoratif. (Voir Gavroche du mois de janvier, sur abonnement si vous n’habitez pas la Thaïlande. On trouve facilement ce magazine à Bangkok et dans les grands centres touristiques du pays).
Une vie après la vie pour ces petits temples
Lorsque la maison est trop abîmée par le temps ou qu’une modification urbanistique s’impose, elle ne doit pas être détruite. Elle rejoint d’autres maisons dans un lieu isolé, sorte de cimetière des maisons aux esprits, afin que l’esprit qui l’habite ne se retrouve pas sans abri, ce qui serait très dommageable pour son propriétaire.
Le sanctuaire Erawan
Situé à l’angle de Thanon Ratchadamri et Thanon Ploenchit, dans le très animé quartier de Pratunam qui jouxte Sukkhumvit, ce sanctuaire (photo ci-dessous) est le parfait exemple de la relation que les Thaïs entretiennent avec les maisons aux esprits. Ce temple a été construit en 1956 suite à une série d’événements tragiques survenus lors de la construction de l’ancien hôtel Erawan. Plusieurs ouvriers furent blessés et un bateau transportant du marbre pour l’hôtel fit naufrage. Erawan, le nom de l’hôtel, était aussi celui de l’éléphant monté par Indra dans la mythologie hindoue. Un prêtre brahmane consulté pour conjurer le mauvais sort, conclut que ce dernier réclamait un cavalier. Il conseilla donc d’ériger une statue du seigneur Brahma. Les problèmes cessèrent aussitôt. Depuis, le sanctuaire est l’objet de toutes les attentions et croule sous les offrandes, les fleurs et l’encens. A voir si vous passez par Bangkok.
Sanctuaire Erawan – Bangkok
L’esprit cartésien et matérialiste d’un Occidental peut être surpris par ces croyances d’un autre âge. Sachez cependant que les Thaïs sont superstitieux et qu’il serait mal venu, voire insultant de vous moquer de telles pratiques. En Thaïlande, même les jeunes citadins très branchés high-tech respectent les coutumes. C’est ce qui donne ce charme si particulier à Bangkok où l’ultra contemporain côtoie des traditions ancestrales mais toujours vivaces.
Merci Daniel, c’est en effet une autre culture qui mérite d’être connue.
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fascinant !!!!! fascinating !!!!
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