Un tréma de trop
Dans son roman paru chez Julliard en 1952, Pierre Boulle écrit Kwaï au lieu de Kwai ou Kwae. L’erreur orthographique est reprise par David Lean pour son film éponyme sorti en 1957. Le tréma sur le « i » change complètement la prononciation du nom et amuse beaucoup les Thaïlandais. En effet, kwaï signifie buffle.
Situation géographique
Situé dans la province de Kanchanaburi, à deux heures à l’ouest de Bangkok, le pont enjambe la Mae Nam Kwae Yai (mae nam signifiant rivière ou fleuve). La ville de Kanchanaburi a été fondée par Rama Ier qui en fit une place forte pour arrêter les Birmans dans leurs tentatives répétées d’envahir la Thaïlande. La route mène au Col des Trois Pagodes à la frontière avec la Birmanie (aujourd’hui le Myanmar) et demeure un itinéraire prisé par les contrebandiers qui peuvent se fondre aisément dans la jungle épaisse dominée par de hautes montagnes calcaires. Le pont, long de trois cents mètres, est encore en service et accueille le passage d’un train toutes les trente minutes.
Les faits historiques
Une alliée obligée
Le 8 décembre 1941, au lendemain de Pearl Harbor, les Japonais envahissent la Thaïlande. Un cessez le feu est rapidement signé au terme duquel la Thaïlande devient un allié diplomatique du Japon.
Les troupes alliées bloquant les voies maritimes du Japon, celui-ci décide de construire une ligne de chemin de fer de 415 km, reliant la Thaïlande à la Birmanie qu’il occupe afin d’approvisionner ses troupes. Cette voie de sinistre mémoire est communément appelée « Death Railway » (chemin de fer de la mort). Les travaux commencent simultanément le 16 septembre 1942 dans des gares de Birmanie et de Thaïlande. C’est un véritable défi qui est lancé puisqu’il s’agit de creuser une voie à flanc de montagne et d’ériger des ponts dans un terrain particulièrement accidenté.
Un bagne en Asie du Sud-Est
D’après les ingénieurs nippons, cette prouesse technique ne pouvait être réalisée en moins de cinq ans. Elle le sera en seize mois dans des conditions extrêmes. Les prisonniers travaillent à la main avec des outils rudimentaires et paieront un lourd tribut à ces travaux. Maltraités, souffrant de malnutrition, de maladies tropicales (paludisme-choléra-dysenterie) ils sont plus de 100 000 à y laisser leur vie.
Le fameux pont de la rivière Kwai est d’abord construit en bois puis il est remplacé en 1943 par une structure métallique dont il ne reste aujourd’hui que les poutrelles courbées. Les voies se rejoignent à 37 km au sud du col des Trois Pagodes et l’Armée Japonaise, toute en délicatesse, fait venir un train de prostituées pour fêter l’événement.
Après la guerre
Le pont sera utilisé 20 mois avant d’être bombardé et détruit par l’Armée Américaine. Il est reconstruit par les Japonais après leur capitulation en guise de réparations de guerre. Les Britanniques prennent le contrôle de la voie ferrée côté birman après avoir pris soin d’en détruire 4 km vers le Col des Trois Pagodes de crainte que les séparatistes Karen l’utilisent.

De son côté, la State Railway of Thailand (SRT: le chemin de fer thaï) entretient la ligne qui est toujours en service sur les 130 km séparant Nong Pladuk au sud de Kanchanaburi et Nam Tok.
Le livre
Agent de la France Libre en Asie du Sud-Est pendant la Seconde Guerre Mondiale, Pierre Boulle écrit Le Pont de la Rivière Kwaï en 1952 pour lequel il reçoit le prix Sainte-Beuve la même année. Son roman est le fruit de ses souvenirs et des témoignages qu’il recueille. Il crée le personnage du colonel Nicholson en s’inspirant d’officiers français en Indochine. Mais l’histoire qu’il nous livre est romancée et n’a pas grand chose à voir avec la réalité historique.
Le film
Tourné à Ceylan, aujourd’hui le Sri Lanka, et porté à l’écran en 1957 par David Lean, Le Pont de la Rivière Kwaï remporte 7 Oscar en 1958 dont celui du meilleur acteur pour Alec Guiness qui incarne le colonel Nicholson. Le réalisateur fait une adaptation du livre plutôt qu’un récit fidèle.
Un colonel controversé
Son colonel Nicholson est directement inspiré du colonel Philip Toosey, personnage bien réel, promu à l’Ordre de l’Empire Britannique le 12 septembre 1946 pour services distingués et valeureux comme prisonnier de guerre. Décrit dans le film comme un « collabo » cherchant à construire un pont parfait, il n’a cependant jamais cherché à attaquer le réalisateur.
Une évasion improbable
David Lean met en scène l’évasion d’un prisonnier américain incarné par William Holden. Or, les conditions d’internement étaient si terribles et les représailles en cas de manquement à la discipline du camp si impitoyables qu’aucun prisonnier ne s’est évadé.
Les oubliés
Le plus grave dans le livre et le film c’est qu’ils ne mentionnent que les prisonniers de guerre. Ils omettent de parler des coolies réquisitionnés par l’Armée Japonaise. On estime qu’ils furent entre 90 000 et 100 000 à perdre la vie durant ces travaux titanesques. Parmi les prisonniers de guerre on compte 16 000 victimes.
A voir en-dehors du pont
Cimetière militaire des Alliés, Thanon Saengchuto, où reposent 6982 prisonniers de guerre pour la plupart britanniques. Il y a également des Australiens et des Néerlandais. Quant aux coolies, ils sont souvent enterrés dans l’anonymat, oubliés jusque dans la mort.
Musée du chemin de fer Thaïlande-Birmanie, Thanon Jaokannun, infos sur http://www.tbrconline.com
Musée militaire du Jeath, Thanon Wisuttharangsi. Cet émouvant petit musée géré par des moines présente des coupures de journaux, des lettres et des œuvres d’art datant de l’époque. Jeath est un acronyme pour: Japon, Etats-Unis, Angleterre, Australie, Thaïlande et Hollande. Petite histoire dans l’histoire: en juillet 2013, un Thaïlandais a plongé dans la rivière proche pour récupérer le portefeuille d’un touriste et a découvert un bateau en teck qui daterait de la Seconde Guerre Mondiale. Cette découverte a été vue comme un heureux présage par les Thaïlandais qui construisirent un sanctuaire en son honneur ou l’art de voir le bon côté des choses.
Heritage Walking Street, ancienne rue dont l’histoire et l’architecture, rencontre des styles sino-portugais, thaïlandais et chinois sont racontées sur des panneaux.
Cimetière des Alliés de Chung Kai, site historique à 4 km du centre de Kanchanaburi, il fut un important camp de prisonniers durant la Seconde Guerre Mondiale. 300 soldats danois et 1400 soldats du Commonwealth y reposent.
Musée de la Seconde Guerre Mondiale, Thanon Mae Nam Kwae. Outre son intérêt, ce musée offre un point de vue magnifique sur le Pont du Chemin de Fer de la Mort.
Lak Meuang, pilier de la cité, Thanon Meuang au centre de la vieille ville. On raconte qu’il renferme des esprits locaux. A proximité, les remparts rénovés qui comptaient autrefois 6 forteresses et dont on peut encore voir 3 canons d’origine.
Connue surtout pour les atrocités qui se sont déroulées durant la Seconde Guerre Mondiale, la province de Kanchanaburi mérite qu’on s’y arrête aussi pour la beauté de ses paysages et de ses parcs nationaux. Ce sera l’objet d’un prochain article.
Apporter des infos que les lecteurs ne connaissent pas forcément, c’est le but. Merci de ton commentaire chaleureux, comme toujours.
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Super intéressant, je ne connaissait pas l’histoire. Bravo Sylvie, tu m’épates à chaque article. Continue !!!!
J’adore !!!
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